Le Burkina élit l’ex dauphin de Blaise Compaoré

By Bruno Jaffré

Le Burkina a voté pour d’anciens proches de Blaise Compaoré renversé pourtant à la suite d’une puissante insurrection populaire. Cela peut paraitre paradoxal mais ce résultat est pourtant logique en regard de la réalité de la situation politique du pays.

Les résultats de la présidentielle sont là. Roch Marc Christian Kaboré, candidat du MPP (Mouvement du Peuple pour le progrès) a été élu président du Faso dès le premier tour avec 53,49% des suffrages, soit plus de 1 668 169 millions de voix.

Son rival, Zéphirin Diabré de l’UPC (Union pour le progrès et le changement) obtient 29,65% du suffrage, soit 924 811 voix.

Viennent ensuite Tahirou Barry, du PAREN (Parti pour la renaissance nationale) 3,09%, M Bénéwendé Sankara de l’UNIR/PS (l’Union pour la renaissance/ Parti sankariste) avec 86 459 voix soit 2,77% et Saran Sérémé du PDC (Parti pour la démocratie et le changement), ancienne dirigeante du CDP, le parti de Blaise Compaoré avec 1,73%. Les autres candidats font tous des petits scores.

Une élection non contestée

Cette élection s’est déroulée sous la surveillance de près de 16000 observateurs accrédités ou non, qui ont assisté, pour une partie d’entre eux, au dépouillement. La soirée électorale s’est déroulée dans un certain enthousiasme. Nombreux étaient les électeurs et les militants de la société civile à surveiller le dépouillement. Le Commission électorale nationale publiait très régulièrement les résultats au fur et à mesure qu’ils étaient vérifiés, relayés par plusieurs sites internet et les radios. La Convention des Organisations de la Société Civile pour l’Observation Domestique des Elections (CODEL) qui comptait à elle seule 6000 observateurs a relevé quelques dysfonctionnements qui ne sont pas de nature à dénaturer les résultats. Les observateurs de l’Union Européenne ont salué le bon déroulement de la présidentielle et des législatives, dans un climat de calme et de sérénité, mais relevé le vide juridique du code électoral en ce qui concerne la limitation des dépenses et la transparence dans la provenance des fonds utilisés.

Une certaine fierté semblait largement partagée d’avoir réussi ces premières élections depuis le départ de Blaise Compaoré et personne n’en contestait les résultats. Une vraie réussite de ce point de vue, alors que dans de nombreux autres pays de la région, la coutume est de se proclamer élu, pour certains candidats avant même la publication des résultats officiels, les autres se lançant immédiatement dans la contestation. Les félicitations aux vainqueurs se sont multipliées de toute part.

De la représentativité du gagnant

Si l’opération exceptionnelle d’inscriptions sur les listes électorales lancée en mars 2015 a permis d’augmenter les inscrits de 27%, pour atteindre plus 5 517 000, il reste que seulement 800000 en ont profité. Dans un pays qui compte 17 millions d’habitants, avec il est vrai 65% de la population de moins de 25 ans, si les progrès sont notables, il reste encore beaucoup à faire, alors que le potentiel approche les 9 millions. Le score du gagnant, ramené aux inscrits, atteint 30% mais seulement 18,4%, si l’on rapporte son nombre de voix par rapport au corps électoral potentiel, c’est-à-dire la population en âge de voter. La participation des inscrits a été en effet de 60%, à comparer aux 54% des présidentielles de 2010 où Blaise Compaoré avait été élu avec seulement 1358900 voix.

Pourtant on l’a vu, les moyens n’ont pas manqué pour amener les électeurs à voter. Certes les militants du PCRV (Parti communiste révolutionnaire voltaïque) ont appelé au boycott, mais cette forte désaffection pour les élections va bien au-delà de ce qu’ils représentent. Elle est plutôt à rechercher probablement du côté de la population pauvre. Préoccupée par la recherche quotidienne des moyens de subsistance, elle pense que ces élections ne les concerne pas ou surtout que quelque soient les résultats, cela n’améliorera pas sa situation.

Qui est Roch Marc Christian Kaboré ?

Marc Roch Christian Kaboré n’est pas vraiment le symbole du renouveau politique auquel on aurait pu s’attendre après une insurrection.

Il participe à la révolution comme membre de l’ULCR (Union des luttes reconstruites), le parti de Valère Somé, dont il est resté ami. Il est propulsé directeur de la BIB (Banque internationale du Burkina), alors qu’il n’a que 27 ans. Valère Somé sera arrêté et torturé, après l’assassinat de Thomas Sankara, dont il est resté très proche. Roch Kaboré, lui, se range derrière Blaise Compaoré.

Il a occupé tous les postes les plus importants du régime précédent, Premier ministre, mais aussi Vice-Président puis Président de l’Assemblée nationale, Secrétaire exécutif du CDP, le parti de Blaise Compaoré, avant d’en devenir le Président. On le citait alors comme le dauphin probable de Blaise Compaoré.

En 2010, au lendemain du congrès du CDP il déclare à propos de l’article 37 : « la limitation du mandat, dans son principe est antidémocratique. Il va contre le droit du citoyen à désigner qui il veut. » (source :http://www.lefaso.net/spip.php?arti…). C’est justement l’obstination de Blaise Compaoré à vouloir modifier cet article qui limitait les mandats qui fut justement à l’origine de l’insurrection. Roch Kaobré va se trouver victime des combats internes du parti, les hommes de François Compaoré, le petit frère du Président, s’emparant de la direction. Lors de la création du MPP, il déclarait qu’il n’avait rien contre Blaise Compaoré si ce n’est une divergence à propos de l’article 37.

Il quitte la direction du parti en 2012, après la révolte qui a traversé le pays en évoquant une nécessaire alternance à la direction du CDP ! (voir http://www.fasozine.com/blaise-comp…).

Lors d’un débat sur TV Monde, en septembre 2015 (voir http://mobile.tv5mondeplus.com/vide…, à partir de la 21eme minute) le journaliste Jean Baptiste Placca, bon connaisseur de la région a affirmé que Salif Diallo et Roch Marc Christian Kaboré auraient envoyé des émissaires pour rassurer Blaise Compaoré. Ils pourraient tenter de le faire revenir au pays s’il restait tranquille. La direction du MPP a cependant démenti. Les liens familiaux existent entre Blaise Compaoré et Roch Marc Christian Kaboré. De plus ce dernier et Salif Diallo ont des intérêts communs dans des sociétés où ils sont tous les 3 actionnaires.

Son élection ne constitue pas une surprise, si ce n’est peut-être qu’elle est intervenue dès le premier tour. Il est issu de l’ethnie majoritaire, les Mossis, un atout de toute première importance. Une photo d’un meeting du parti montrait des rangées bien remplies de « bonnets rouges », les chefs traditionnels, exhibant leurs fameux bonnets. Il est souvent présenté comme un homme de consensus et de compromis, sachant arrondir les angles. Lors du coup d’Etat de septembre 2015, nous avions relevé son hésitation après avoir pris connaissance du projet d’accord de la CEDEAO qui reprenait partiellement les revendication de Gilbert Diendéré (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-ja… et https://blogs.mediapart.fr/bruno-ja…). Il avait en effet déclaré à l’AFP qu’li n’était pas « en mesure de dire s’il allait lever ou non le mot d’ordre de désobéissance civile ».

Salif Diallo, le véritable dirigeant du Mouvement du Peuple pour le progrès

Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré ont créé le MPP, en janvier 2014, à grand renfort de moyens financiers, moins d’un an avant l’insurrection, alors que de puissantes manifestations avaient déjà été organisées dans tout le pays. Ce parti prend très rapidement de l’ampleur. Il publie de longues listes d’anciens militants du CDP démissionnaires. Grâce à son activisme, en employant les méthodes de mobilisation du CDP, il accueille de nombreuses personnes avides de changement. Il attire aussi les jeunes ambitieux, car il est vite apparu comme un potentiel futur gagnant des élections. Le MPP se réclame de la social-démocratie, il postule pour entrer dans l’Internationale socialiste, à moins qu’il n’y soit déjà. Plusieurs partis qui se classaient à gauche lui apportent leur soutien.

Salif Diallo est le véritable leader de ce parti. Il milite dans la jeunesse au sein du Parti communiste révolutionnaire voltaïque, qui s’est opposé à la Révolution, puis participe à une scission pour créer le GCB, qui se rallie à la révolution, mais participera à la lutte politique contre le « réformisme » de Thomas Sankara. Entre temps il s’est mis au service de Blaise Compaoré et intègre son cabinet au ministère de la Justice. Il se trouve en effet dans sa maison le jour de l’assassinat de Thomas Sankara, et deviendra son chef de cabinet jusqu’en 1989. Il occupe ensuite différents postes à la présidence de 87 à 1991, puis ministre en charge des missions de la présidence, lors du conflit au Libéria. Dans un document trouvé dans la maison du François Compaoré après l’insurrection, datant de 1999, des soldats ayant combattu au Libéria en 1989 et 1990 accusent « famille présidentielle, les politiciens, les barons du régime, les opérateurs économiques et le Commandement du CNEC à l’époque dont le chef de file est l’incontournable Diendéré (NDLR : à l’origine du putsh de septembre 2015) » d’avoir détourné l’argent qui leur était dû et ils précisent : « L’actuel ministre de l’environnement Salif Diallo peut témoigner, lui qui faisait la navette entre Ouagadougou et l’aéroport international de Robert-Ville Libéria, souvent pour convoyer les armes et munitions, tantôt pour ramener les tonnes d’or et diamant ainsi que les cantines de dollars. » (Voir http://blaisecompaore2015.info/Docu…). Dans le numéro 89 de la revue Politique Africaine daté de mars 2003, on peut lire dans un article sur la rébellion en Côte d’Ivoire page 80 : « Il semble en effet que ce dossier extrêmement sensible ait été géré par un tout petit cercle de fidèles du chef de l’Etat, au premier rang desquels figurent son frère François Compaoré et Salif Diallo, l’influent ministre d’Etat et homme lige de Blaise Compaoré, déjà mis en cause dans les trafics avec le Libéria, la Sierra Leone et l’Angola »

Il commence à faire des propositions de réformes, en 2008, pour faire évoluer le régime, qu’il sent à bout de souffle, et se retrouve en disgrâce nommé ambassadeur en Autriche. Il se met un peu plus tard au service du président du Niger.

Dans un ouvrage de Valère Somé, intitulé « Nuits froides en décembre » paru récemment au Burkina. Il écrit : « Salif Diallo, à l’époque, Directeur de cabinet du Président Blaise Compaoré, dirigeait personnellement les séances de tortures, y prenant même une part active ; lui un civil ». Une polémique l’oppose aussi aux étudiants de l’UGEB, (Union générale des étudiants du Burkina)) qui l’accusent d’avoir favorisé l’arrestation de l’étudiant Dabo Boukary, mort sous les tortures.

Salif Diallo fait profil bas chaque fois qu’il est interpellé sur son passé, affirmant notamment qu’il est disponible s’il est convoqué par la justice. Il a aussi déclaré qu’il ne s’opposerait pas à l’extradition de Blaise Compaoré, si sa culpabilité était prouvée. Et Roch Marc Christian Kaboré, de son côté a déclaré : « Si d’autre part, il n’y a rien qui est retenu contre lui, il lui est tout fait possible de rentrer dans son pays et d’y vivre tranquillement » ! Certes les enquêtes sont en cours, mais une telle déclaration rend sceptique sur leur volonté d’aller au bout des procédures judiciaires concernant les dirigeants de l’ancien régime, d’autant plus qu’ils en font partie.

Si Salif Diallo était vraiment sincère il pourrait commencer par raconter tout ce qu’il sait sur les années noires du régime, les auteurs des crimes politiques, la participation de son régime aux guerres et diverses déstabilisations régionales. N’était-il pas à l’époque, l’intime de Blaise Compaoré, son conseiller le plus proche ?

Comment la victoire du MPP a-t-elle été possible ?

Au vue du profil des gagnants, de la mobilisation du peuple pour le changement, de la popularité de Thomas Sankara dans le pays, qu’ils ont contribué à assassiner alors physiquement et politiquement, on peut s’étonner de ces résultats.

Pourtant ils étaient prévisibles. Salif Diallo se vante de connaitre parfaitement bien son pays et il a probablement raison. Il est de plus considéré comme un stratège hors pair. La vérité c’est que les hommes qui ont quitté le CDP pour le MPP l’ont quitté en amenant avec eux leurs réseaux, de deux types : les réseaux internationaux de soutien qui ont financé leur campagne et les réseaux à l’intérieur du pays qui quadrillent villages et quartiers. Ils ont employé les mêmes méthodes que celles que le CDP employait lors des élections précédentes. Remettre en place ces réseaux par lesquels transitent les sommes énormes qu’ils ont dépensées durant ces élections. Une amie de Dori me faisait part de 3 personnes qui allaient distribuer jusqu’à 25000FCFA par personne dans les quartiers pour acheter des voix. Un autre ami me confirmait ces méthodes dans d’autres régions. Le journal l’Observateur faisait d’ailleurs état de participants au meeting du MPP, se plaignant de ne pas avoir reçu les sommes promises ! Dans un pays pauvre, ce n’est pas négligeable. Nous l’avons dit plus haut les chefs coutumiers, encore très influents ont été mis à contribution, en ville comme à la campagne.

D’autre part, la contribution du MPP au départ de Blaise Compaoré, a été déterminante, même s’il n’a rejoint l’opposition que très tardivement. La scission au sein du CDP a contribué à affaiblir considérablement ce parti, en le vidant de nombreux militants et d’une partie de ses réseaux. Ce parti est semble-t-il à l’origine de différentes associations de la société civile partie prenante de l’insurrection. Et la veille de l’insurrection, des militants de ce parti, auraient organisé des réunions clandestines, pour préparer les manifestations et fabriquer des cocktails Molotov qui ont contribué à affaiblir les forces de l‘ordre le jour de la prise de l’assemblée nationale.

Enfin ce parti a attiré de nombreux jeunes, engagés dans le combat contre Blaise Compaoré, certains se réclamant de Thomas Sankara pensaient pouvoir jouer en rôle pour le changement ou espéraient tout simplement obtenir des postes.

Il faut encore ajouter que l’histoire du régime de Blaise Compaoré reste à écrire. Qu’aucun procès n’a encore eu lieu, et ce que nous avons rappelé ci-dessus à propos de Salif Diallo, est très largement ignoré, y compris parmi la jeunesse qui n’a pas connu cette période. Son passé commence à le rattraper. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont fait que ce parti a choisi Roch Marc Christian Kaboré comme candidat. Une partie des jeunes veut croire au changement, préfère se projeter dans le futur, au détriment d’une introspection sur le passé de ce pays meurtri, au risque d’oublier que l’mpunité est le cancer de la démocratie.

Et maintenant ?

Aux législatives, le MPP vient en tête avec 55 députés, suivi de l’UPC, le parti de Zéphirin Diabré, deuxième aux présidentielles, avec 33 sièges, et du CDP, avec 18 sièges. L’assemblée comptant 127 députés, le MPP n’obtient pas la majorité absolue et va devoir faire des alliances. Les tractations commencent. Le MPP affirme vouloir une alliance des partis de gauche, et dans ce cas aurait besoin aussi des députés de plusieurs petits partis dont les 5 députés de l’UNIR PS, le parti sankariste.

Du côté du Balai citoyen on se satisfait du bon déroulement des élections. Il faut dire que cette association y a grandement contribué.

Tout le monde accepte le résultat, c’est ce que les votants ont choisi. Mais déjà on rappelle les nombreuses promesses du parti gagnant et on promet une vigilance accrue. Les futurs dirigeants disposent certes d’une longue expérience, Salif Diallo étant en plus connu comme étant un fin stratège, mais la partie ne s’annonce pas facile. Ils affirment vouloir aller très vite. Satisfaire les nombreuses promesses nécessite les moyens colossaux qu’ils auront bien du mal à réunir. Les attentes sociales sont énormes et les syndicats, comme la société civile qui se réclame de la veille citoyenne, ne vont pas leur laisser de répit. L’avancement des dossiers Sankara et Zongo est une exigence largement partagée. Par ailleurs, les acteurs de la Transition qui ont rendu le rapport de la Commission de réformes et de réconciliation vont veiller à ce que les préconisations soient rapidement mises œuvre. Sans oublier la délicate affaire des écoutes téléphoniques entre Guillaume Soro et Djibril Bassolé, qu’il va falloir gérer avec la Côte d’Ivoire voisine.

Bruno Jaffré est le biographe le plus important de Thomas Sankara, et est fortement considéré comme expert du Burkina Faso. Son étude de Thomas Sankara, La Patrie ou la mort est publié par  l’Harmattan.

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